Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Claude Villers, journaliste et homme de radio, est mort

Voix emblématique de France Inter pendant quarante ans, le journaliste Claude Villers, formidable conteur de voyages, animateur de nombreuses émissions, dont le célèbre « Tribunal des flagrants délires » est mort, a annoncé dimanche 17 décembre la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth.
A l’éternelle question « Peut-on rire de tout ? », il répondait au Monde, en avril 1991 : « Oui, mais avec humanité. » Apportant ainsi une nuance à la réponse de son ami Pierre Desproges (« Oui, mais pas avec tout le monde »), l’animateur montrait une modestie et une bienveillance caractéristiques de sa personnalité cependant frondeuse et caustique.
Né le 22 juillet 1944 à Everly (Seine-et-Marne), Claude Villers a grandi à Barly, près d’Arras dans un milieu ouvrier. Son certificat d’études obtenu, c’est dès l’âge de 14 ans qu’il entame sa vie professionnelle. L’adolescent exerce différents métiers : employé de banque, garçon de café, videur de boîte de nuit, mais aussi catcheur de foire. Sa corpulence (il fait déjà plus de 100 kilos) le porte à incarner les brutes épaisses mises au tapis par des plus légers que lui à la fin des combats, pour le spectacle.
Après plusieurs années de petits boulots, il devient le plus jeune journaliste professionnel de France, à 17 ans. Il écrit notamment dans Radio Magazine. A la radio, il fait ses débuts à Europe n° 1 en collaborant à « L’Equipe n° 1 », produite par Gérard Sire et animée par Jean Yanne et Jacques Martin. Il suit ce dernier sur RTL après la séparation du duo.
En 1964, il intègre France Inter, où Roland Dhordain vient d’être nommé directeur. Le jeune journaliste rejoint l’équipe de « Table ouverte », une quotidienne animée par Michel de Villers et José Artur. De dix-sept ans son aîné, ce dernier devient d’abord son maître, puis un de ses plus proches amis. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre Monique Desbarbat, qui deviendra sa plus fidèle complice, réalisant et coproduisant toutes ses émissions pendant trente ans.
A la rentrée de 1965, naît « Le Pop Club » de José Artur, émission culte, à laquelle Claude Villers participe de manière permanente. Il s’y exprime pour la première fois au micro dans des reportages en direct et remplace à l’occasion le « patron ». « Avec José Artur, j’ai appris la liberté », dira-t-il dans son autobiographie Parole de rêveur (éditions Le Pré aux Clercs-France Inter, 2004).
Après avoir volé de ses propres ailes le temps d’un été dans sa première émission, il voit la rentrée 1967 tourner à la douche froide. Peu psychologue (et surtout peu visionnaire !), un conseiller de la direction de la station lui assène dans un couloir : « Je suis au regret de te le dire mais tu ne feras jamais de micro. Tu ne sais pas t’exprimer, tu ne sais pas respirer… Tu parles du nez… Tu n’as pas ta place à l’antenne. » Laminé, Claude Villers décide de prendre le large et part s’installer avec sa compagne de l’époque aux Etats-Unis.
A New York, il renoue d’abord avec la presse écrite, couvrant pour des magazines français l’effervescente scène culturelle et musicale de l’époque, de Bob Dylan au Grateful Dead. Puis, il est embauché au bureau new-yorkais de l’ORTF, sous la direction de Jacques Sallebert. Il sillonne pendant trois ans l’Amérique du Nord, relatant les premières révoltes étudiantes en 1968, l’assassinat de Martin Luther King, le festival de Woodstock en 1969…
Il rentre en France en 1971. Vite gagné par l’ennui dans ses nouvelles fonctions de conseiller auprès de la direction de France Inter, il renoue avec le micro dès l’été de la même année en présentant « A plus d’un titre », une émission dans laquelle il raconte d’abord les Etats-Unis, puis d’autres continents, à travers différents thèmes liés à l’actualité. Pendant deux ans, il se produit seul au micro pendant une heure chaque jour, sans invité. Une somme de travail considérable, une vraie prouesse en vérité.
A partir de là et grâce au soutien de Pierre Wiehn (directeur de France Inter), Claude Villers enchaîne les émissions, explorant tous les registres : la satire et la caricature (« Pas de panique »), le reportage à travers les régions (« Marche ou rêve ») ou le cœur de la vie nocturne (« Comme on fait sa nuit, on se couche »), et les récits de voyages, toujours. Depuis son séjour en Amérique, il se passionne pour les trains, les paquebots, et les caps, points de mire de plusieurs de ses expéditions.
Contrairement à ses amis José Artur et Jacques Chancel, dont les émissions respectives « Le Pop Club » et « Radioscopie », inamovibles, ont battu des records de longévité dans la grille des programmes, Claude Villers met un point d’honneur à proposer régulièrement de nouvelles idées d’émissions. En 1980, il crée « Le Tribunal des flagrants délires », talk-show mythique avec Pierre Desproges, Luis Rego, Eva Darlan… Malgré un démarrage difficile, l’émission d’humour enregistrée en public connaît ensuite un grand succès. Le programme durera deux saisons, séparées par un intermède d’un an pendant lequel Claude Villers s’aventure auprès de Jean-Claude Héberlé à la direction de RMC.
De retour sur France Inter à la rentrée 1982, l’animateur au franc-parler assumé quitte de nouveau la radio publique en juin 1983, ne parvenant pas à s’entendre avec Jean-Noël Jeanneney, alors patron de Radio France, et trouvant peu de soutien auprès de Jean Garretto, directeur de France Inter.
Il participe alors à divers projets au côté de Jean-Marie Cavada à la télévision. Il produit, réalise et prête sa voix à des documentaires, anime des émissions, écrit des scénarios, joue des petits rôles dans des téléfilms. En plein essor des « radios libres », il crée sa propre station : Pacific FM, qu’il quittera au moment où elle sera revendue à NRJ.
Après l’arrivée d’une nouvelle direction à Radio France, il regagne le service public au début de l’année 1988, mais pas France Inter, où il refuse de retourner. « Ce métier est un tout petit monde. On se retrouve un jour ou l’autre, pas forcément pour régler des comptes, mais pour la satisfaction de pouvoir dire non », disait cet homme de médias aguerri et lucide. Ce sera donc France Culture (« Elémentaire, cher petit homme »). Tout juste nommée à la direction de France Inter, Eve Ruggieri le convainc, en août 1988, de réintégrer sa station historique. Il y produit de nouveau des talk-shows de satire (« Bienvenue au paradis » ; « Le Vrai Faux Journal »), et toujours des émissions de récits (« Marchand d’histoires » ; « Je vous écris du plus lointain de mes rêves »).
Souffrant de problèmes cardiaques et victime de plusieurs accidents de santé à la fin des années 1990, Claude Villers réduit progressivement la voilure avant de prendre sa retraite en 2004, à 60 ans. « C’est aussi que je pensais qu’il fallait laisser la place à d’autres, au renouvellement », déclarait encore celui qui a mis le pied à l’étrier à de nombreux reporters, chroniqueurs et animateurs.
Installé avec son épouse, Colette, à Pessac-sur-Dordogne (Gironde), le pays de Montaigne, le journaliste amateur de bonne chère continuait d’écrire, de voyager et menait une vie active tant sur le plan associatif que personnel.
22 juillet 1944 Naissance à Everly (Seine-et-Marne)
1965 Participe au « Pop Club » de José Artur
1971 « A plus d’un titre »
1980 « Le Tribunal des flagrants délires »
1997 « Je vous écris du plus lointain de mes rêves »
16 décembre 2023 Mort à 79 ans
Hélène Delye
Contribuer

en_USEnglish